EMS Synthi A – AKS – VCS3

 

S‘il fallait élire la marque de synthés la plus mythique et qui a fait couler le plus d’encre (ou de pixels), la compagnie anglaise Electronic Music Studios serait certainement parmi les nominés.

« The World’s Longest Established Synthesizer Manufacturer ».
En effet c’est en 1969 qu’elle commercialisa le VCS3, rapidement suivi en 1971 par le Synthi A (d’abord nommé « Portabella ») et l’énorme Synthi 100. En 1972 arrive l’AKS, qui sera le best seller de la marque.
La société a survécu jusqu’à aujourd’hui en passant par de nombreux déboires. Elle est actuellement installée dans les Cornouailles, aux mains de Robin Wood (qui était représentant commercial pour EMS depuis les débuts) et a depuis peu enfin repris la production de nouveaux Synthis A et de VCS3 « Cornwall ».
Ludwig Rehberg gère une antenne EMS en Allemagne. Selon certaines sources il fabriquerait de nouveaux Synthis en quantité réduite et en choisissant à qui il les vend, mais à part pour le Logik (un Synthi de sa création inspiré du Synthi E) j’ai de sérieux doutes. Ce qui est sûr c’est qu’il remet en état le matos EMS qu’il peut trouver et le propose à la revente sur son site pour un prix encore plus élevé que la cote généralement constatée, ainsi qu’un grand choix de produits EMS qu’il n’a pas nécessairement en stock (comme un Synthi 100…).

Le Synthi A est un VCS3 dans une valise (de marque Spartanite), l’électronique est la même (d’ailleurs sur les PCBs de mon Synthi A il est écrit « VCS3 ») et l’AKS est un Synthi A avec le fameux KS (pour Keyboard Sequencer) noir et bleu.
Beaucoup se trompent en appelant « AKS » le Synthi A : s’il n’y a pas le clavier-séquenceur KS, ce n’est pas un Synthi AKS mais bien un Synthi A ! Logique pourtant, non ?

On distingue généralement les MKI et les MKII (les plus répandus), les différences se situant principalement au niveau de l’alimentation, du filtre (àpd 1974), de l’agencement de la matrice, des amplis de sortie et de la reverb. Mais il y a eu de nombreuses variantes, en fonction de ce qu’EMS trouvait comme composants à un prix intéressant sur Lisle Street. Ajoutez à cela le fait que les potards aient parfois une énorme tolérance (certains de 10k de mon AKS allaient de 7 à 15k) et vous comprendrez pourquoi chaque Synthi est différent, a son propre son et sa personnalité.

Même si la famille VCS3 excelle dans les bruitages en tout genre et n’a pas été conçue au départ pour jouer des gammes chromatiques, c’est néanmoins tout-à-fait possible. Il suffit d’accorder l’instrument (Ah ? Tiens ? Ca s’accorde ? Ben oui !)
Les nombreuses légendes colportées sur internet au sujet de l’incapacité à être « juste » de ces machines sont en fait plutôt dues à l’incapacité de certaines personnes à s’en servir correctement.

La célèbre phrase de W. Carlos « The PUTNEY is a real toy. Its components are highly unstable/unpredictable and the selection made is highly gimmick orientated and does not by any stretch of the mind permit any subtle sounds & exp. to be constructed. It also has a so-called touch-sensitive keyboard which has to be tried to be believed, it’s that awful. No feel or physical feedback at all (as there is in a piano, for example); again, another great concept worked out in ignorance (and the one I tried worked backwards: softer touch = louder sounds!) But it is small & portable & groups might like it for special effects. » révèle que W. n’avait même pas pris la peine de lire le manuel, ce qui l’aurait peut-être aidé(e) à patcher correctement l’instrument.

Il est vrai que les composants des premiers Synthis n’étaient pas les plus stables qui soient (au même titre que les premiers modules Moog, soit dit en passant) mais ça s’est fortement amélioré dans les séries suivantes et quelques modifications (compensation de température notamment) apporteront à tout Synthi une stabilité irréprochable.

Synthèse soustractive analogique (circuits discrets)
Polyphonie peut faire beaucoup de sons différents en même temps
Mémoires prestopatches
Année de sortie 1969 (VCS3) – 1971 (Synthi A) – 1972 (AKS)
Concepteur David Cockerell, avec les idées de Peter Zinovieff et de Tristram Carry

 

1. Les 3 oscillateurs
Les oscillos ont une plage de fréquence très étendue, +/- de 1Hz à 10Khz pour les 1 et 2, de 0,5 Hz à 500 Hz pour le 3 (juste avec le bouton vernier, pas de sélecteur 4/8/16/32 etc…, en les contrôlant en tension ça peut aller plus bas et plus haut).
Ils sont pourvus de boutons vernier qui permettent un accordage précis.
Bien calibrés, ils trackent sans problème sur au moins 5 octaves vers le haut et 3-4 vers le bas (sur les claviers DK EMS le 0V est sur le Fa du milieu, pas sur la note la plus basse).
Chacun offre 2 formes d’onde (sinus et dent de scie descendante pour le 1, carrée et triangulaire pour les 2 et 3).
Ils ont un réglage de shape (pas contrôlable en CV d’origine mais c’est modifiable), qui pour l’oscillo 1 n’affecte que le sinus.
Leur sonorité est énorme, et constitue déjà une importante part du son EMS.

Une modification assez simple permet de les synchroniser, ce qui apporte des possibilités mélodiques très intéressantes propres au Synthi.
« EMS Sync is far more tonally versatile than any other analogue synthesizer commercially available. » (Graham Hinton)

 

2. Le filtre
« 18db » ou « 24db » à partir de 1974.
Ces dénominations ne sont pas exactes d’un point de vue technique le « 18db » est un « 4 poles 24db qui se comporte comme un 18db » et le « 24db » un « 5 poles 30db qui se comporte comme un 24db ».
Ceux qui veulent en savoir plus peuvenbt consulter cet excellent article de Tim Stinchcombe.

Il dispose de 2 réglages, « frequency » (cutoff) et « response » (résonance), seule la fréquence est contrôlable en CV.
Ce filtre passe-bas à diodes est toute une ménagerie, une texture et une autooscillation très particulières, depuis la danse des éléphants jusqu’aux ultrasons qui feraient fuir un chien sourd, en passant par toutes sortes d’oiseaux, dont les mouettes qu’il imite très bien.

 

3. Le ring modulator
Encore un élément bien particulier du Synthi.
Ce RM, basé sur un TAB101, a une sonorité différente des autres RM, une palette étendue qui va notamment de superbes sons de cloches métalliques à une caisse claire jouée aux balais comme dans « On the run », et plein d’autres choses.
Exemple

 

4. L’enveloppe
Pas une ADSR mais une AODO qui peut se retrigger elle-même.
– Attack : le temps que met le signal à atteindre son niveau maximum
– On : le temps qu’il durera (sustain)
– Decay : le temps qu’il mettra à redescendre à 0 (contrôlable en CV)
– Off : le temps que l’enveloppe mettra avant de retrigger (au-delà de +/- 7, elle ne retrigge plus)

Gate et trigger externes lui arrivent via la broche 5 de la prise Jones « keyboard », il n’y a d’origine pas d’entrée jack destinée à cet effet. On peut aussi presser le bouton « attack » près du joystick.

Son fonctionnement peut sembler déroutant au premier abord à quelqu’un qui est habitué aux enveloppes standards des synthés, notamment modulaires. Elle est à la fois enveloppe et VCA : pour moduler rythmiquement un signal il faut l’y entrer dans la colonne 4 et le reprendre à la sortie sur la ligne 12, le niveau de sorie est ajustable avec le bouton « signal ».
Le fameux trapezoid envoie la forme trapézoïdale de l’enveloppe inversée comme source de modulation, patchable via la ligne 11 de la matrice, l’amplitude de la modulation est réglée avec le bouton « trapezoid ».

 

5. La matrice
Probablement l’élément le plus significatif de la philosophie EMS, on la retrouve également sur le Synthi 100, sur le célèbrissime Vocoder 5000, sur le Spectre (ou Spectron, synthétiseur video analogique)…
Dans un souci d’économie de place, de clarté, de facilité d’utilisation (et peut-être parce qu’ils en avaient trouvé un bon stock pas cher à l’époque), EMS a décidé d’utiliser ce système pour interconnecter les modules avec de petites fiches à résistance, au lieu de l’habituel spaghetti de câbles qui masque les modulaires. Le principe est simple et permet beaucoup plus de connexions que les câbles tout en apportant une rapidité d’exécution et une vision immédiate du patch en un coup d’oeil pour l’utilisateur un peu averti.

Un long dessin valant mieux qu’un bon discours, voici un exemple tiré du manuel du VCS3 MKI, qui montre bien la logique en « spirale » de la matrice : on prend un signal, on l’injecte dans un module, on le récupère à la sortie du module, pour ensuite le réinjecter dans un autre module ou l’envoyer vers les amplis de sortie.

Bien entendu, n’importe quel signal audio ou CV peut être utilisé comme audio et comme CV.

Les fiches actuelles que vend EMS contiennent une résistance de 2k7 1%, quelle que soit leur couleur (à l’époque, les blanches avaient une tolérance de 5% et les rouges, plus chères, de 1%), sauf les vertes qui ont des 68k et servent à envoyer un CV atténué (par ex si on veut affecter le même CV à 2 modules différents mais pas avec la même intensité).

Sous les matrices MKII, dans l’espace de rangement des fiches, on trouve un connecteur pour prestopatches, 32 contacts qui reprennent les 16 entrées et les 16 sorties de la matrice. En y insérant une carte (les veroboards conviennent parfaitement) sur laquelle sont soudées des résistances correspondant à l’emplacement de fiches, on peut rappeler rapidement un patch (mais ça ne tourne pas les boutons). C’est ça les prestopatches, un peu les premières cartouches mémoire, au début des années ’70 !
Via ce connecteur il est aussi possible d’injecter des signaux externes dans la matrice et d’en récupérer ou encore mieux d’interconnecter 2 Synthis.
EMS a pendant une courte période offert 3 prestopatches à l’achat d’un Synthi : « Guitar », « Keyboard » et « Battle » (ils sont devenus des collectors qui se vendent très cher, malgré qu’ils soient faciles à reproduire), et proposait d’en faire sur mesure pour les musiciens qui leur envoyaient leurs patches. On peut jouer « On the run » avec le prestopatch « Keyboard », comme David Gilmour dans cette video.

 

6. Le joystick
Via les 2 lignes du bas de la matrice, il peut influer sur tous les modules du Synthi, et son action est réglable via 2 potards de range (sur l’AKS, le potard de range vertical sert aussi d’interrupteur pour le CV du séquenceur, qui arrive sur la ligne 16).
Vraiment très utile et agréable.

Outre déclencher des explosions nucléaires, le fameux bouton rouge « attack » sert à trigger manuellement l’enveloppe.

 

7. La reverb
Elément mécanique, la reverb peut causer des larsens quand on utilise les hauts-parleurs internes. C’est une reverb à ressorts tout ce qu’il y a de plus classique (sauf la taille du tank, les Accutronics que l’on trouve actuellement sont un peu trop grands pour entrer dans la valise, en cas de panne la seule solution est de placer dans le tank d’origine le bloc ressorts prélevés dans un tank neuf, en veillant à ce que les impédances correspondent).
Il y a 2 réglages : mix et level, le mix est contrôlable en CV.
Le comportement, la réactivité et le son de la reverb sont très variables d’un Synthi à l’autre.
C’est un module qui est souvent en panne.

 

8. Le générateur de bruit
Un beau noise, qui va du rose au blanc.

 

9. Les filtres de sortie
Chacun des deux canaux de sortie a un filtre basses-aigües très efficace.

 

10. Les canaux d’entrée
Deux canaux d’entrée permettent d’injecter un signal audio afin de le traiter ou un CV externe (séquenceur, clavier…), soit via une des 4 entrées jack, soit via la prise Jones 8 broches « keyboard ».

Les oscillateurs 1 et 2 trackent à -0,32 V/oct (standard local anglais du quartier Putney de Londres, utilisé internationalement par EMS), heureusement en cas d’utilisation d’une source externe il est possible d’atténuer le CV avec les boutons « input level » et d’obtenir un résultat correct. Les amplis d’entrée sont inverseurs, ce qui permet qu’un CV positif fasse monter la fréquence.

 

11. Les canaux de sortie
– 2 haut-parleurs internes, que les réglages « pan » n’affectent pas
– 1 sortie casque stereo, que les réglages « pan » n’affectent pas
– 1 sortie « scope » pour un oscilloscope (même signal que celui envoyé au vu-mètre via la colonne « meter ») qui peut aussi servir d’inverseur en réinjectant le signal via une entrée
– 2 canaux de sortie « signal », à connecter à une amplification externe
– 2 canaux de sortie « control » qui ne passent pas par les réglages de volume ni par les filtres

 

12. Le KS
C’est le fameux clavier-séquenceur bleu et noir qui se trouve dans le couvercle de l’AKS. Un objet incroyable pour l’époque (1972) qui offre
– clavier sensitif avec « vélocité » (reconnaît la force de frappe)
– séquenceur digital de 256 évènements avec transposition à la quinte, à la tierce, d’un ton et d’un demi-ton
– possibilité de jouer autre chose au clavier pendant que la séquence tourne, sans influer sur celle-ci
– générateur de note aléatoire
– 4 molettes pour ajuster la vitesse et la longueur de la séquence, les intervalles du clavier, les intervalles du séquenceur et la source de trig

Le CV du clavier se patche sur la ligne 8 de la matrice, la « vélocité » sur la 9 et le CV du séquenceur sur la 16. Un bouton permet de sélectionner le trigger de l’enveloppe ou de la séquence, avec de nombreuses positions intermédiaires.

Une version en bois a aussi été produite, avec un clavier noir et blanc, sous le nom de TKS.

Attention : ne jamais brancher un KS sur un Synthi MKI car son alimentation ne le supporterait pas.

 

En conclusion
Les grenouilles l’auront déjà compris, je suis complètement dingue de ces machines.
Elles correspondent très bien à mon approche psychédélique, aléatoire et éphémère de la musique électronique, que ce soit au niveau du son, de l’esprit, de l’ergonomie, de la gueule.
Si le bassiste de rock’n’roll que je suis a commencé à s’intéresser aux synthés, c’est uniquement grâce à (ou à cause de ?) ces valises infernales.

C’est la plupart du temps le Synthi qui mène la danse quand j’en joue, devrais-je plutôt dire que c’est le Synthi qui joue du BLT ?
J’ai possédé et essayé beaucoup d’autres synthés mais aucun ne m’apporte un plaisir comparable.

Ces appareils sont aussi relativement simples électroniquement (uniquement des composants discrets et quelques amplis op), et une invitation au DIY. Je ne savais pas tenir un fer à souder il y a 3 ans et l’an dernier j’ai modifié mes 2 Synthis moi-même d’une manière originale, étendant leurs capacités sans rien modifier de manière irréversible (voir ma page).
Ils m’ont non seulement ouvert à la musique électronique, mais aussi à l’électronique elle-même.
Je ne peux dire qu’une chose : entrer en contact avec un Synthi, en posséder un, peut changer profondément la vie. Attention donc ! 😀

Malheureusement leurs prix d’occasion atteignent actuellement des sommets indécents, flirtant parfois avec les 10000€ (voire même plus). Je ne pense pas que je mettrais ce prix aujourd’hui (quoique…) et suis heureux que le prix cumulé que j’ai payé pour les 2 miens n’atteigne pas cette somme.
C’était déjà un sujet de discussion anafrogien à l’époque où ils n’en coûtaient que 5000, d’aucuns trouvaient déjà ça beaucoup trop cher pour 3 VCOs, un noise, un filtre, une enveloppe, un ring modulator et une reverb. Mais ce sont des modules exceptionnels, qui n’ont leur pareil nulle part ailleurs. Une Deuche, c’est 4 roues, une carrosserie, un moteur et un volant. Une Ferrari aussi.
Surtout, dans un Synthi particulièrement, le tout est plus que la somme de ses parties, les interactions entre les modules peuvent être vraiment incroyables et réserver énormément de surprises : ce n’est plus une machine mais un être vivant qui peut subitement se mettre à parler, pleurer, chanter, crier, improviser, décoller, aboyer, geindre, voler, nager, pèter, roter, taper, respirer, couiner, souffler, produire quantité de sons dont on n’aurait jamais même imaginé l’existence ou la possibilité…
Et si on l’éteint, quand on le rallume, la magie de l’instant disparaît souvent…

Ce genre d’instrument ne conviendra pas à tout le monde, c’est clair, et c’est une chance, vu qu’il n’y en a pas beaucoup.

 

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